Benoît Cosnefroy : "Ce n'était pas envisageable pour moi de ne faire que du vélo"

Benoît Cosnefroy avait découvert les cuisines de Jean Sulpice à l'occasion du stage qu'il a réalisé grâce au Prix Etienne-Fabre. C'était en décembre 2018.

Lauréat du premier Prix Etienne-Fabre en 2017, Benoît Cosnefroy n'en finit plus de faire parler de lui. L'ancien champion du Monde U23 nous a donné de ses nouvelles avant de reprendre une saison 2020 qui avait parfaitement débuté.

Bonjour Benoît ! Tu as été lauréat en 2017 du Prix Etienne Fabre. Depuis, il s’en est passé des choses...

Oui, j’ai été un des premiers lauréats. Grâce à la Bourse, j’ai pu effectuer mon stage chez Jean Sulpice, découvrir un monde qui était pour moi un rêve que je ne pensais pas pouvoir réaliser un jour. Cette bourse m’a permis de découvrir ce monde qui me fait tant rêver, je suis admiratif de ce genre de cuisine. Aujourd’hui encore, j’ai gardé contact avec Jean Sulpice, et les moments que je partage avec lui sont d’exception. 

J’ai obtenu la bourse l’année de mon titre de champion du monde espoirs, je venais de passer professionnel. J’ai l’impression que c’est assez loin, alors qu’en réalité il ne s’est pas écoulé beaucoup de temps. Tout est allé très vite depuis que j’ai franchi le Rubicon, même si je n’ai pas obtenu de victoires en 2018, j’ai senti que j’avais progressé. 2019 s’est très bien passé et maintenant j’entame un nouveau contrat, avec une belle aventure qui continue encore trois ans au sein d’AG2R La Mondiale. Mon projet sportif a beaucoup grandi, mais j’ai un peu décroché dans les études.

 

C’est-à-dire ? Lors de la remise des bourses, tu étais en licence...

Je m’étais lancé dans une licence en e-learning, sur deux ans. Mais cela s’est avéré compliqué à tenir avec le rythme des courses. Je suis assez admiratif de coureurs comme Valentin Madouas qui arrivent encore à concilier les deux. Je n’étais pas assez passionné par les études. C’est le cyclisme qui m’y a amené, mais je n’ai pas trouvé la force de continuer cette licence. J’ai donc abandonné, je m’en tiens à mon Bac +2 pour l’instant. J’en suis déjà content, même s’il y a toujours mieux à faire. Pour l’instant je reste concentré sur le vélo, je pense que les liens que je vais pouvoir créer pendant ma carrière cycliste vont m’être bénéfiques, je vais pouvoir me créer un bon réseau.

 

Quel Bac+2 as-tu décroché ? Cette licence correspondait pourtant à tes attentes ?

J’ai obtenu un DUT en techniques de commercialisation, et la licence que j’ai commencé à suivre était dans la commercialisation de produits de services sportifs. J’aimais le fait qu’elle soit axée dans le monde du sport, mais qu’en même temps avec ce bagage scolaire, je puisse travailler dans l’événementiel, la communication, ou devenir commercial… Mon premier objectif était de décrocher un Bac +3, parce que c’est un niveau qui permet de passer certains concours après la carrière sportive.  

Cette licence par correspondance était idéale. Ils ont fait un super travail. Suite à mon titre de champion du monde, j’ai été beaucoup sollicité et j’ai décroché directement. Ils se sont adaptés au retard que j’avais pris. C’est une licence qui convient parfaitement au sport de haut-niveau et ses contraintes, mais il faut une certaine rigueur, que j’avais en présentiel, mais moins en dehors. Pourtant ma copine était étudiante, elle travaillait, j’aurais pu trouver le temps mais je n’étais pas suffisamment scolaire pour m’y mettre après un entraînement de 4 ou 5 heures. Je voulais aussi continuer pour mes parents, ils m’ont toujours fait confiance dans mon projet sportif, mais je voulais aller aussi au bout des choses pour eux, qui ont fait des efforts financiers pour que j’intègre le Pôle espoirs de Caen, et pour financer mes études.

 

Ton double-projet a effectivement commencé très tôt, dès le lycée. Comment t’es-tu retrouvé au Pôle Espoir de Caen ?

Après le collège, je voulais être menuisier comme mon père et mon grand-père. Je n’étais pas du tout scolaire. Pour moi, l’école devait s’arrêter après un CAP ou un bac pro. Je voulais faire une alternance, gagner un peu d’argent. Lors de ma dernière année de collège, David Louvet est venu me voir à Lanarvily au mois de décembre, et m’a proposé de rejoindre le Pôle Espoir de Caen. Je n’y pensais pas du tout car je n’avais pas le niveau scolaire suffisant, mais il m’a poussé à faire ce double-projet, à rentrer dans cette dynamique d’études. 

Sans lui, je suis certain que je n’aurais pas fait d’études. J’aurais été très heureux je pense, mais je serais jamais passé professionnel. Quand tu commences en alternance à aller travailler sur les chantiers, 35 heures par semaine, tu ne peux pas t’entraîner de façon optimale. Je pense que j’aurais fait un bon 1e catégorie, mais pas plus. Il a tout changé dans ma carrière, j’ai fait une seconde générale, j’ai eu mon bac, et j’ai poursuivi. 

 

Et c’est comme ça que tu t’es retrouvé à Chambéry Cyclisme Formation...

Je voulais trouver une certaine continuité dans mon double-projet, c’est pour cela que j’ai postulé à Chambéry. Pour moi, c’était l’idéal. Cela ne coûtait pas forcément beaucoup d’argent à mes parents, tu es hébergé, nourri, la vie ne te coûte pas grand-chose… Il n’y a que les loisirs qui te coûtent un peu mais tu t’en sors avec les primes que tu obtiens en course. C’était l’idéal, en plus en équipe réserve d’un World Tour… Jamais je n’aurais imaginé être capable de le faire ! J’étais dans le souci d’aller le plus loin possible, et je pensais sincèrement avoir atteint mon maximum en arrivant en DN1. 

Je veux toujours aller au bout des choses, aujourd’hui encore je suis dans cette dynamique. Mais ça n’a pas toujours été facile, quand tu prends des risques dans la vie ça ne paie pas toujours, mais je pense qu’à un moment donné tu as toujours ce coup de pouce. 

 

Tu es désormais sportif de haut-niveau à plein temps. Ne regrettes-tu pas pendant tes années espoirs de ne pas avoir consacré tout ton temps à ta pratique sportive ? 

Tout le monde idéalise le fait d’être coureur pro, de ne faire que du vélo. C’est un super métier, mais dans les rangs amateurs, je ne me voyais pas faire que ça, ce n’est pas forcément facile car on n’est jamais sûrs d’avoir un contrat plus haut. Ce n'était pas envisageable pour moi de ne faire que du vélo. Quand ça ne va pas dans le sport qu’on pratique, on a toujours les cours, un autre projet, d’autres centres d’intérêt avec d’autres copains. En cours, tu te retrouves avec un handballeur, un rugbyman, c’est une bonne chose de pouvoir échanger. 

Sur le vélo, quand ça ne se passe pas forcément bien, tu réfléchis, tu culpabilises de ne faire que ça, alors que quand tu mènes ce double projet, tu n’as pas vraiment le temps de douter. C’est important de se sentir bien dans sa peau, dans la société, d’avoir un autre but que d’être juste coureur cycliste. Quand tu es pro, c’est ton métier, c’est différent. Mais dans les rangs amateurs, je n’aurais jamais pu. La petite normalité qu’on a quand on mène un double projet, même si on ne vit pas tous les aspects de la vie étudiante (comme la fête les jeudis soirs ou autre), nous permet de garder les pieds sur terre. 

 

Tu comptes plusieurs succès chez les professionnels, tu as participé au Tour de France… Parfois, le grand public a tendance à réduire le sport de haut-niveau à un simple hobby. Qu’aimerais-tu dire à ces gens, et surtout, quelles compétences sont de sérieux atouts pour plus tard une reconversion ? 

Les gens ne se rendent pas forcément compte de l’investissement qu’on peut avoir, il faut travailler dur pour réussir, les gens ne s’imaginent pas forcément de tout ce que ça peut englober. Il y a une obligation de résultats, qui demande beaucoup d’implication. Je ne dois pas juste aller rouler trois heures et faire quelques sprints. Plus ton statut évolue, plus cette pression devient importante. C’est un tout, c’est formateur. Je pense que savoir gérer cette pression, qui peut parfois être pesante, peut ensuite devenir un réel atout dans le marché du travail. 

On est sportifs de haut-niveau, mais on gère notre carrière, on gère seul notre réussite et notre parcours. Sur le marché du travail, si on arrive à mettre tout ça en valeur, cela peut être un point positif. Quand tu es jeune, tu peux rêver de passer pro, mais ça ne doit pas rester à tout prix dans le crâne. Faire du sport permet de s’ouvrir à autre chose, il y a des règles à suivre, beaucoup de déplacements, on travaille en équipe… Grâce au vélo, je connais presque toutes les régions de la France. J’ai découvert des villes que je n’aurais jamais eu l’idée de visiter sans le sport. Faire du sport en général est formateur, il en ressort de belles valeurs. Rien que de dépasser ses propres limites, c’est formateur. 

 

1er juillet 2020 - Mathilde L'Azou

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